Dans cette lettre rédigée à Ognon, près de Senlis, en Franche-Comté, Franà§ois-Charles écrit à son frère Jacques-Philippe Saveuse de Beaujeu résident au Canada. Il lui annonce qu’il a bien reà§u l’argent qu'il lui a fait parvenir et lui explique qu’à sa connaissance, leur oncle, l’abbé de Beaujeu, ne l’a jamais aidé financièrement dans sa jeunesse et qu’il considère ne pas avoir reà§u sa juste part d’héritage. Il ajoute que sa situation financière est toujours difficile mais que le roi vient de le décorer de la Croix de Saint-Louis, de lui accorder le brevet de colonel et de lui rendre son titre de comte.
Activités économiques, organisation sociale, activités militaires
Mon cher frère, j’ai reà§u de Mr. Geo Gellespie[1] deux milles
cent vingt neuf livres[2] qui ont été le produit des cent livres
sterling que vous m’avez fait passer par Mr Hart Logan[3].
Recevez-en, je vous prie, mes sincères remercimens.
Vous paroissez affecté, mon ami, de quelques expràªssions dont
je me suis servies dans la lettre que je vous ai écrite le 16
juin 1814, j’ai cherché, mais en vain, la minute de cette màªme
lettre, et je ne puis par conséquent opposer à votre reproche, que
mon cÅ“ur fraternel qui vous assure n’avoir jamais eu la volonté
d’attaquer votre honneur qui, sans doute, m’est aussi précieux
que le mien. Il est vrai, que dans l’affreuse position dans la
quelle je me trouve, que la reclamation que vous m’avez faite, avoit
droit de me surprendre et màªme de me porter à douter de
votre sensibilité à mon egard; mais je ne puis avoir été plus
loin. Vous me mandez, mon cher frere, que notre oncle[4] vous
a dit qu’il avoit contribué de sa bourse à mon avancement
dans le monde? Je jure que mon oncle, l’abbé de Beaujeu[5],
ne m’en a jamais parlé, et je n’ai connu d’autre parens que
ce màªme oncle et un cousin, qui ayent coopéré à l’existence
de ma jeunesse, car une fois entré au service, la providence
seule m’a conduit, Dieu veuille me l’accorder jusqu’au tombeau!
Je suis loin de penser la succession de notre oncle plus forte
que vous la faites monter; mais je ne puis dire comme vous
au sujet des avantages que vous devez en retirer. Voila
près de huit ans que vous àªtes en possession de tous les
biens, et nous autres pensionnés, nous n’avons encore rien
touché, au contraire, nous devenons vos débiteurs d’après
les embellissemens que vous faites aux seigneuries[6].
Dites, mon cher frere, si à l’à¢ge o๠je suis, et d’après
la marche que vous tenez, je puis compter sur le morceau
de pain, que mon oncle croyoit, sans doute, m’avoir laissé?
Oui je vous le repette, cette succession, selon les clauses, dont
vous faites mention, est vraiment illusoire pour vos freres
et sœurs.
Rien n’a changé mon sort malheureux quant à la fortune;
quelques stériles honneurs sont venues offrir quelques
diversions à mes peines. Le Roi m’a fait chevalier de
l’ordre royal et militaire de St. Louis[7] et de plus m’a
accordé le brevet de colonel[8]; mais tout cela ne me
donne point un sou et devient plutà´t un sujet de
dépense. Je demande une place, mais que de personnes
à placer! Vous ne savez donc pas, mon ami, que les
femmes en France ne portent aucun titre à leurs maris[9]?
Celui de comte que j’avois pris quelques années avant
la révolution au moment o๠j’eus l’honneur d’àªtre présenté
à Louis Seize, vient de m’àªtre rendu ainsi qu’à tous
les anciens nobles titrés. Notre famille tire son origine
du Dauphiné, elle très ancienne puisqu’elle datte
au dela des Croisades[10], j’avois, à l’epoque de ma fortune,
rassemblé un grand nombre de titres, mais je les ai
tous perdus à la funeste catastrophe de la France, ainsi
que tout ce que je possédois. Il ne me reste que mon
contrat de mariage et mes lettres de services pour
preuves de ce que je suis.
Je n’ai aucune nouvelle de mon malheureux fils.
J’attends, avec la plus grande impatience, la belle saison,
espérant encore le revoir à cette epoque, fasse le ciel que
je ne sois pas trompé!
Je ne vous donne point mon adresse au village que
j’habite, dans la crainte que vos lettres ne soient perdues.
Monsieur Périer, ancien notaire, homme riche et propriétaire
à Paris, m’ayant permis de vous donner mon adresse chez
lui, offre plus de sureté à notre correspondance; ainsi
veuillez toujours me faire passer vos lettres à son domicile.
Adieu, mon ami, je vous souhaitte tout le bonheur
possible. Aimez votre vieux frere, pensez quelquefois
à sa pénible éxistence, et comptez toujours, ainsi que
votre compagne, sur ma constante amitié.
Le Cte de Beaujeu
P.S.
Je suis bien peiné de la perte de notre jeune sÅ“ur[11].
Embrassez pour moi le silencieux chevalier, je désire
bien le savoir heureux. Rappellez moi au souvenir
de ma bonne Beaujette que je n’ai jamais oubliée, malgré
son indifférence pour moi.
à€ Ognon[12] près Senlis ce 22 février 1815.
Chez Mr Périer rue de Vendà´me No 3 au Marais.
Paris
P03/A.246, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le
embellissementapporté au domaine, et c’est grà¢ce à l’argent qui lui est dà», à lui et au reste de sa fratrie, que Saveuse peut se permettre d’améliorer l’infrastructure de ses seigneuries.