Franà§ois-Charles réside désormais à Londres d’o๠il écrit à son oncle maternel Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil habitant au Canada. Il lui annonce la mort de son épouse Élisabeth de Bongars et le décès de sa fille. Forcé de fuir la France révolutionnaire, Franà§ois-Charles l’informe des peines vécues ces dernières années.
Organisation sociale, activités militaires, réalités politiques, activités économiques, maladies
De Londres[1] ce 15 avril 1794
Enfin, mon très cher oncle, je commence a respirer,
on vient de me donner de vos nouvelles, elles sont
bonnes[2], Voila les souhaits de mon cœur, puissai-je
n’en jamais apprendre d’autres, sur votre santé
sur votre bonheur; et puisse enfin le sort ne pas
vous traiter comme votre pauvre neveu!
Oui, mon très cher oncle après àªtre parvenu au
comble du bonheur, après avoir unis mes jours
à la femme la plus aimable et la plus vertueuses;
la petite vérole m’a enlevé il y trois ans, cette
respectable créature, celle de qui seule je pouvois
attendre ma félicité. Il me reste un fils à¢gé
de six ans[3]; Dieu n’a pas voulut me tout à´ter,
et me laisser entièrement en proie à la douleur la
plus amère, ce cher enfant m’attache encore à la
vie, et tous mes soins et mes affections sont
tournés vers lui.
Je ne vous parle point de la malheureuse
révolution qui vient de ruiner toute la France,
vous devez en savoir assez pour gémir sur notre
sort[4], le mien a été des plus affreux; après
m’àªtre émigré comme les bons Franà§ois et avoir
été sous les drapeaux des princes, offrir à mon
Roy, mes bras et ma vie; lors de leur retraite,
je me suis retiré en Hollande avec mon fils[5],
dénué de tous secours, et toujours au moment
de me soumettre aux plus durs traveaux, pour
lui conserver une éxistence qui m’étoit aussi chere.
Mais tous les jours au moment de n’avoir rien,
tous les jours la sage providence a prit pitié
d’un pere malheureux, et m’a fait trouver des
secours qu’elle seule peut accorder, car je ne
pouvois, avec raison, les espérer.
Enfin, je viens d’apprendre que mes biens de St
Domingue sont entre les mains des Anglois[6],
c’est au moins n’avoir pas tout perdu, je trouve
a Londres, sur ces màªmes biens dévastés, une pension
de vingt guinées, jusqu’a nouvel ordre, il est vrai,
mais c’est encore beaucoup, dans notre malheureuse
position, de pouvoir gagner du tems, et d’avoir
quelques jours de tranquillité.
Oui, mon très cher oncle, dans le misérable étà¢t oà¹
se trouve réduite notre patrie, n’ayant selon moi,
aucun espoir d’y rentrer, mon seul projet seroit,
si toutes fois, je puis un jour rassembler quelques
débris de ma fortune passée, d’aller finir mes
jours au paà¯s qui m’a vu naitre[7], et d’oublier
dans le sein d’une famille qui me sera toujours
chere, les peines dont je suis accablé.
Je me plais a croire, mon très cher oncle,
que la santé de mon aimable tante est
aussi bonne que je le désire, dites lui bien
la jouissance que je trouvrois a pouvoir un
jour faire sa connoissance, a lui prouver ma
tendresse respectueuse, bien persuadé qu’une compagne
de votre choix, mérite autant mon affection
que vous màªme, et c’est tout dire, car les
sentimens de tendresse que je vous portois dans
mon enfance, n’ont fait qu’augmenter avec
mes années, bien plus a màªme d’apprécier
ce que vaut un parent comme vous, que je
pouvois l’àªtre alors.
Adieu le meilleur des oncles c’est avec
les sentimens que je viens de vous peindre,
que je ne cesserai d’àªtre tant que je respirerai,
votre plus respectueux neveu
Le Cte de Beaujeu[8].
Chez Mr Muilman et Compagnie
Olbrood Street No 46 dans la Citée
à Londres[9].
P03/A.213, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le